Le portrait : Christophe

[david]

Photo David Molitor

Il a chanté Aline, les marionnettes, les mots bleus et les paradis perdus. Son nouvel album reste hors catégories.

Dates
1945 Naissance de Daniel Bevilacqua, le 13 octobre, à Juvisy-sur-Orge.

1965 « Aline » avec son million d'exemplaires vendus, fait de lui une vedette.

1967 Michèle Torr lui donne un fils, Romain.

1973 Jean-Michel Jarre lui écrit les textes de l'album « Les paradis perdus ».

1983 Huit ans après « Les mots bleus », il cartonne avec « Succès fou ».

1996 Grand retour avec « Bevilacqua ».
Certains artistes nous fascinent autant par leur créativité décalée, leur originalité forcenée, que par leur long parcours sinueux et chaotique. Ils s'appellent Dutronc, Polnareff, Bashung, Chamfort, Annegarn ou Christophe. Tous ont en commun un succès fou au printemps de leur carrière, des hits qu'ils se sont ensuite échinés, non pas à faire oublier, mais à étoffer d'un propos plus dense, plus complexe.

Jeune, on est beau, on plaît, les filles vous aiment et vous vous laissez enivrer par cette tornade aussi légère qu'une bulle de champagne. Christophe, ce fils d'entrepreneur italien, nourri au rock'n'roll, a tout du séducteur, avec sa mèche blonde avant sa moustache de macho. Après les groupes de rock, les parachutistes et les cabarets, seul avec sa guitare, il publie, sur le label du Golf Drouot, un premier 45 tours en 1964 (« Reviens Sophie ») qu'on oubliera vite car un an plus tard, le ténébreux Caruso publie, chez Disc'AZ, le slow « Aline ». Bingo. Du jour au lendemain, sa vie change. Avec l'argent, il achète ses premières voitures de course. « Les marionnettes » confirme son statut de vedette des hit-parades radio, des plateaux de télévision et des juke-box qu'il va commencer à collectionner, comme tout ce qui touche à la culture américaine de l'après-guerre.

La révolte ne tardera pas. S'estimant à l'étroit dans ce costard coupé par son succès fou, il profitera de Mai 68 pour tout arrêter, se faire oublier et revenir en 1971, avec des titres moins yé-yé, plus blues. Son complice et éditeur s'appelle Francis Dreyfus. Après deux 45 tours boudés par le public (« Mes passagères » et « Main dans la main »), Dreyfus lui présente un certain Jean-Michel Jarre qui lui écrit les textes de ce qui serra l'album d'un premier grand retour, Les paradis perdus, en 1973, et Les mots bleus, deux ans plus tard…

Christophe en profite pour faire ses adieux à l'Olympia, histoire de se consacrer davantage à ces heures de studio où il se montre maladivement perfectionniste, rêvant d'arrangements dignes des meilleures productions américaines et anglaises. Son look aussi change. Le voilà davantage blouson de cuir de dandy décadent et faux petit loubard aux virées nocturnes. La drogue passe par là, comme les excès de vitesse. Attention à la ligne blanche, dirait son ami Bashung. Tous les deux font appel à Boris Bergman pour les textes.

Les albums se succèdent (Samouraï, Le beau bizarre, Pas vu pas pris) mais le public ne retient que les tubes, de « Señorita » (1974) à « Succès fou » (1983), en passant par « Petite fille au soleil » (75) à « La dolce vita » (77).

« Voix sans issue », en 1984, annonce le ras-le-bol et la fatigue d'un artiste se sentant malgré tout incompris. Ses collections de voitures, de films, de disques et de juke-box suffisent à son bonheur.

« Ne raccroche pas », en 1985, et « Chiqué chiqué » en 1988 sont comme un chant du cygne pour celui pressé de passer à autre chose. L'artiste disparaît.

Ce qui ne veut pas dire qu'il se tourne les pouces mais, dans le plus grand secret, il peaufine en studio ce qui sera son album du grand retour, treize ans après son dernier 33 tours, Clichés d'amour.

Intitulé Bevilacqua, ce disque nous révèle, en 1996, le nouveau Christophe, féru d'électronique et de collages sonores qui ne le quitteront plus.

Toujours imprévisible, il rend folles les attachées de presse de Sony, annulant visites (le show-room de Ferrari, à Zaventem, avait été réservé) et interviews en dernière minute. Quand il nous fixe rendez-vous, au bar d'un petit hôtel parisien, personne dans sa maison de disques n'y croit. On y va et il est là, tranquille, nous attendant. Sans montre en main, on passe ensemble l'après-midi. Il imagine lui-même une session photo qui n'était pas prévue. Avant de terminer tout cela par une partie de dames. Les pions, pas les filles bien sûr, même s'il les a si bien chantées.

« Je suis un artiste, ce n'est pas facile, nous avouait-il à l'époque. Il faut avancer avec des boules Quiès. On fait pour le mieux et après, les gens aiment ou pas. »

Flambeur autoproclamé, il vit l'instant… suivant. « Ne pas se mettre de chaînes n'est pas facile dans ce monde » : ainsi résume-t-il ses problèmes relationnels avec l'industrie du disque.

Christophe devra encore attendre 2001 et Comm'si la terre penchait, pour renouer avec le succès, confirmé par une longue tournée. Il nous revient aujourd'hui avec un album superbe, Aimer ce que nous sommes, réalisé en toute liberté. A l'image de ce cheval fougueux qui ne peut être qu'un Mustang