Rencontre : Le chanteur Christophe et le trompettiste Erik Truffaz Comment vous êtes-vous rencontrés ?

[david]

Rencontre : Le chanteur Christophe et le trompettiste Erik Truffaz ont mêlé leurs notes au cours d’un magnifique concert à Jazz à Vienne.





Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Christophe. Lors d’une émission de télé. Keren Ann m’avait invité. Erik était là. Dès que je l’ai entendu, j’ai distingué toutes les nuances de son jeu, ça m’a profondément touché.


Erik Truffaz. J’ai demandé un autographe à Christophe. Ado, j’écoutais beaucoup ses chansons.




Christophe. Je lui ai répondu : « OK pour l’autographe, si tu veux bien jouer avec moi, un jour. » Plus tard, il m’a invité aux Inrocks de Saint-Brieuc, où il avait carte blanche. Notre complicité musicale a été immédiate. Au public de Jazz à Vienne, j’ai expliqué que notre rencontre a pris une pure dimension le jour où Erik est venu à la maison pour travailler sur mon album Aimer ce que nous sommes. Je lui ai prêté une trompinette de Boris Vian. Il a kiffé… Et joué comme le soleil !




Comment avez-vous ressenti votre participation à Jazz à Vienne ?




Christophe. D’abord, quand la date a été confirmée, j’ai pensé que ce concert allait être comme une de mes nuits inconnues, où je m’élance vers d’autres horizons. Le Théâtre antique de Vienne est magique. Je suis comblé de jouer avec ces grands musiciens, Erik, Marcello, Patrick et Marc.




Erik Truffaz. Christophe appartient au patrimoine de la chanson française. Il a un pied dans le passé et l’autre, dans le futur. Il me stupéfie. Pour son dernier disque, il m’a précisé : « Au niveau du son, imagine que tu bosses avec Björk. » Cela met la barre très haut. Quand il se joint à mon quartette, dès que sa voix se mêle à nos notes, elle engendre des climats étonnants. Ça me rappelle Robert Wyatt (batteur et chanteur de Soft Machine - NDLR). Chez Christophe, j’admire sa soif de découvrir, apprendre : une clé pour rester vivant.




Christophe. C’est ce qui nous rassemble. Je ne suis pas métier. Avec Erik, c’est l’aventure, l’expérimentation. L’impromptu aiguise ma créativité.




Chacun à votre façon, vous êtes des nomades, des gens du voyage…




Christophe. Exact. À treize ans, je rêvais d’être forain. Avec ma chanson française, je ne me rends pas dans autant de pays qu’Erik. Je dirais que sa musique le fait voyager dans le monde entier et moi, c’est dans ma musique que je pérégrine.




Erik Truffaz. Ce qui nous relie, c’est l’instinct et l’ouverture sur le monde. Je cultive la solitude autant que la rencontre. Dans les hôtels, je recrée mon univers, j’apporte ma bouilloire, mon thé. À la différence de Christophe qui est un homme de la nuit, je me lève tôt. Entre les tournées, je vis au calme, dans une maison en Bourgogne.




Vous vous êtes intéressés au vaste héritage de la musique afro-américaine. Erik a l’esprit du jazz et Christophe, êtes féru de blues…




Christophe. Oui, j’en écoute tous les jours, Muddy Waters, Jimmy Reed, Son House, John Lee Hooker, J.-B. Lenoir… J’ai une collection de quatre cents 78-tours : que du top.


Erik Truffaz et CHRISToPHE SUR LEXPRESS.FR par LEXPRESS


Erik Truffaz. Du côté du jazz, le trompettiste Don Cherry me fascine, par sa liberté. La dernière musique que j’ai écoutée sur mon ordinateur était de lui.




Votre dernier album inclut un CD enregistré à Bénarès avec deux artistes indiens. Avez-vous entendu la réédition, par le célèbre producteur Martin Meissonnier, du merveilleux enregistrement que Don Cherry a effectué, en 1978, avec le maître des tablas Latif Khan (1) ?




Erik Truffaz. On m’en a parlé. Je voudrais me le procurer. Miles Davis m’a marqué aussi. Je l’ai vu au Théâtre antique de Vienne. Une musique sublime dans un lieu féerique.




Qu’est-ce qui vous met en colère, quand vous regardez autour de vous ?



Christophe. Je ne supporte aucune forme de racisme. Or, en France, il perdure. Adolescent, j’écoutais surtout de la musique arabe, Mohamed Abdel Wahab, Reinette l’Oranaise… Parfois, on me regardait de travers. Les États-Unis et leur système ne m’ont jamais emballé. Mais les Américains sont surprenants. Aux élections présidentielles, ils nous ont donné une leçon. Eux qui avaient voté Bush tirent une carte : l’as de coeur, Obama.




Erik Truffaz. La désagrégation pernicieuse, par Sarkozy, des acquis sociaux, la répression croissante, la façon de traiter l’action syndicale comme de la délinquance, tout ça me choque. La droite sous de Gaulle avait davantage de déontologie que la droite actuelle. Quant au PS, sa débandade m’afflige. Je suis marxiste non communiste, dans le sens où aucun pays n’a su appliquer le communisme sans imposer de dictature. Bien sûr, les mairies communistes, en France, mènent un travail formidable. Aujourd’hui, le monde n’a plus d’alternative au modèle libéral américain, qu’ont adopté même la Chine et la Russie. Marx a été visionnaire. Il n’y a pas de capitalisme moral.




(1) CD de Don Cherry/Latif Khan, Music-Sangam. (Hea- venly weetness/Differ-ant).