Christophe danse avec les mots

[david]

Suite à l'album "Aimer ce que nous sommes", l'artiste chanteur se met en scène au Cirque royal le 16 mai. En préchauffe, quelques propos in situ sur le temps, la nostalgie, la fumisterie, un petite lampe de bordel.
L’atelier du peintre des sons



Dans quelques jours, Daniel Bevilacqua, alias Christophe, sera à Bruxelles, au Cirque royal, pour un spectacle qui promet d’être royal lui aussi. Etrenné à l’Olympia l’an dernier, il rassemble de grands artistes, comme Helena Noguerra au chant, Erik Truffaz à la trompette, Gail Ann Dorsey à la basse, notre compatriote Pascal Charpentier au piano, auxquels se joint le Mons Orchestra. Spectacle total, il est une mise en scène de l’univers de Christophe, chanteur d’"Aline" et des "Mots bleus" mais aussi créateur d’albums ambitieux comme "Aimer ce que nous sommes", photographe, cinéaste, peintre, collectionneur d’automobiles, de jukebox, de 78 tours de blues et de jazz. Ce que reflète l’appartement du 6e arrondissement de Paris où il nous reçoit.

Quelle est votre perception du temps ?

On se souvient de notre père qui disait "Le temps passe vite". On pensait qu’il disait une grosse connerie, qu’il était con. Et ça ne change rien de dire des choses comme ça aux mômes, hein ? Mais bon.

A-t-elle évolué avec le temps ?

C’est sûr. Je ne me rends pas compte du temps passé. J’ai l’impression qu’"Aline" ou le 1er 45 tours que j’ai fait à 16 ans, c’était hier. Donc c’est 63 ans qui ont passé comme ça. Il serait bien, peut-être, un jour, de faire un album sur le passé, sur ce qu’ il en reste, de quoi on a été imprégné, mais je ne sais pas.

Ce passé est déjà très présent dans vos chansons. Nostalgique ?

La nostalgie, non, ou alors ça existe la nostalgie cachée, ça existe. Ce n’est pas parce qu'on ne la met pas devant qu’elle n'est pas là. Et hop, elle vient, comme un virus, manger le présent. Eh oui. Moi, ce qui me frappe beaucoup, c’est le changement de temps. Il n’y a pas de doute, le temps change. Je me souviens du proverbe qui disait : "en avril ne te découvre pas d'un fil, en mai fait ce qu’ il te plaît". Il était valable. En mai on allait à la piscine à Viry-Châtillon, à côté de Juvisy. On y allait à pieds. Moi je sonnais aux maisons et je faisais l’Américain, je baragouinais en américain, je faisais n’importe quoi, j’étais dans un film. J’avais le mythe de l’Américain.

Comment l'avez-vous attrapé ?

Je sais pas, j’étais attiré par l'Américain depuis très jeune, mes 13 ans. La musique, l'accent. Qui n’est plus le même d’ailleurs, si vous écoutez bien dans les films. Les mots ne sont plus les mêmes non plus. D’où la nostalgie. Cachée. Mais présente tout le temps. De toute façon, la vie n’est qu’une nostalgie, quelque part, pour les gens romantiques je parle, pour les gens qui vivent une vie vraie, qui ont la chance d’être joueurs, qui font aboutir des choses mais pas toujours facilement. Ce sont des résistants. Etre résistant aujourd’hui, toute une vie, ce n’est pas facile. Surtout à Paris.

Venez-vous encore souvent en Belgique ?

Je venais souvent quand j’avais mon permis de conduire. Cela fait dix ans que je ne l’ai plus. C’est une grande privation. Je commence seulement à oublier. C’est comme la cigarette, et les trucs qu’on a aimés. Mais la cigarette, c’est plus dangereux. Quoique tout soit dangereux. M’enfin bon, on ne pense pas au danger quand on est sur la bonne route. C’est quand on est dans le décor qu’on y pense. On est tous comme ça, il ne faut pas se bander les yeux.

Que buvez-vous, là ?

Ça c’est très bon, c'est un jus de goyave. J’en ai acheté un pour le goûter, très bon ça, j’en rachèterai. Moi j’aime bien les jus de fruits, j’aime pas l’alcool, j’aime le lait, j’aime l’eau, j’aime les jus de tomates, de carottes. Et le vin, le très bon vin. Brunello di Montalcino. 95, 85 et un qui est très bon, c’est 2003 : canicule ! Le vin de la canicule, 2003, Brunello di Montalcino, c’est une œuvre d’art.

Quel était le métier de votre père ?

Entrepreneur en chauffage central, et non pas dans la maçonnerie comme on le dit beaucoup. Mon grand-père, quand il est venu d’ Italie à 20 ans, il a fait plombier, chauffagiste, ramoneur. C’est lui qui faisait les tuyaux quoi, les tuyaux de poêle. Mon père était entrepreneur, avec une soixantaine d’ouvriers. C’était une belle réussite, à l’époque.

Vous auriez pu suivre la voie; or vous êtes passé des tuyaux aux tubes...

De mon père chauffagiste, je disais qu’il était fumiste. Je disais ça parce que j’étais le fumiste aussi, mais pas le même. On est une famille de fumiste. Et alors ? C’est très bien. Et puis ma grand-mère paternelle, c’est elle qui gérait tout ça. Mon grand-père était dans l’espace, comme moi.

Votre concert est en deux parties, d'abord le nouvel album, puis les tubes.

Pour moi, c’est la vraie rencontre avec le public. C’est là où je fais des concessions. Une première partie avec le premier album, ce n’est pas évident à traduire pour la scène. Dans la deuxième partie, il y a le best-of, pour donner aux gens ce qu’ils attendent, les choses qui les ont fait rêver et qu’il faut partager, c’est important. Ce n’ est pas que des concessions. Moi aussi, je suis dans le même état d’esprit que les gens. Ces chansons sont aussi des souvenirs pour moi, et non pas une obligation. Moi, je n’ai pas d’obligation.

Alain Bashung devait participer à l'album ?

Je ne l’ai pas pris parce que, au même moment, il a fait un duo avec Daniel Darc. J’ai trouvé que ça devenait moins original, mais j’ai mal pensé d’ailleurs. C’est parce que j’étais fatigué. Avec le recul, je me dis que c’est con. Alain et moi, on s’est connus en 70. Nous étions tout le temps ensemble. Dans la même catégorie. Je préfère qu’ on me mette dans cette catégorie plutôt que dans celle de Polnareff. C’est vrai, j’ai rien à voir avec Polnareff. Alain est un type généreux. Polnareff... Mais qu’on me compare à lui, non, je n’aime pas du tout. C’est bien de le dire, non ?