L’étoffe Christophe
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L’étoffe Christophe
Rock. Après deux albums épurés, le chanteur lunaire revient à un style profus et planant. Interview pour la sortie d’«Aimer ce que nous sommes».
L’ambient-yéyé Aimer ce que nous sommes, son et dessein moins nets que ceux des deux CD antérieurs, réalisé à Londres, Séville ou Montparnasse ces six dernières années, est du pur Christophe : sec et moite, sublime et chiqué, briqué bricolo, parfait à l’imparfait.
Twist. Commençons par le parfait. Soit le personnage transformiste même, cet Adoré Floupette déliquescent remixé Nicolas Flamel patrimonial, chaînon manquant entre le twist de Juvisy et l’Ircam Café Costes. Smart de miniature Bronzino, cheveu Warhol-Dracula, voix du même métal mercurisé, Christophe en soi, et satin, «crispé comme un extravagant» baudelairien plus vrai que nature ; il faudrait l’inventer s’il ne se chargeait sans répit de «faire de sa vie une œuvre d’art», tel son la Man fétiche 2001. Soit ensuite sept à huit chansons sur quatorze titres. Sept slows tectoniques ruisselants, au croisement d’Aline, Money et Lily Marlene, plus un disco-jerk.
Passons aux hics. Le parlé-chanté est un tracas de l’édition, brouillant le geste rock en récitation. Compliquant ce handicap (touchant sept plages quand même), les invités (trois, dont une eût suffi) et une dramaturgie freinée à la clef.
L’ouverture atmosphérique est de fait une chute, via dictée d’Adjani nous éloignant du sujet, Christophe ; faux-départ appuyé en Magda, deuxième couche de parlé-chanté nappée : une lecture psalmodiée de Christophe lui-même, certes, mais à contre-temps. L’un dans l’autre ainsi décroché d’entrée en planerie pink-floydienne à effets psyché 70, donnant le la sur un air de rappels , il faut attendre le n° 3 du menu, huit bonnes minutes plus tard, pour entrer en matière avec Mal comme. Encore ce malcommode Mal comme n’est-il pas le plus évident des morceaux chantés, peinant un peu à lever sa sève saturnienne, en légende : «Et si le temps m’offrait/ L’aumône de lui-même/ Je l’utiliserais/ Encore / A aimer ce que tu es/ A aimer ce que je suis/ En somme/ Aimer ce que nous sommes.» Belle profession de foi.
Le départ n’en finissant pas, la suite It Must Be A Sign (?) replonge dans les affres du parlé-chanté d’invités. Une vieille dame dit galamment, pour l’artiste un peu absent, deux fois le mot «sublime», sur un lit de piano bientôt submergé de voix de fillettes à la bouche en chœur olympien.Ejaculatio precox durassienne, ou anneau d’étranglement du plaisir.
T’aimer fol’ment commence à en prendre, avec l’obscur Christophe du désir à l’œuvre : voix de tête de folle à «cravate satin gris clair», slogan convoquant le meilleur des années Copains avec Johnny Celentano dans le juke ; Pas cette chanson synthétisé orientalise en «Encore ces violons/ Encore ces violons/ Qui pleurent» enfin.
Tonight Tonight, irritant d’abord, pour son fun à paillettes factice, mais justement, vient bien à l’usage, avec ses chœurs cheap en re-re, dans la presque lignée de l’inégalable Ne raccroche pas. Pour rester dans le night-clubbing, Panorama de Berlin file à pied (bruit de talons aiguille) une rêverie louche, d’Ange bleu en Portier de nuit, poudrée de Valium guitaristique badalamentien.
Là-dessus, deux interludes parlés-chantés de mieux. Redite explicite, Interview de, valant Interview 2 (Bevilacqua 1996) «claque» si bien, «canardée» de si bonne humeur binaire, qu’on se laisse volontiers rembobiner. Quant à Stand 14, c’est une clef, autant du crypto-compact du jour que du système D esthétique de notre Des Esseintes d’«essence» ; son «Rosebud» de Titi Carabi nitro. «J’suis toujours ailleurs/ Au Stand 14», vaticine le marlou du boulevard Flandrin, en Lol V. Stein SLC. Comprenne qui peut ; en l’occurrence, les coureurs Jean-Pierre Beltoise (auto) et «Pierrot» Landereau (moto), recyclés garageos chers à l’artiste extracteur de «vapeurs», dans les années minets à Montlhéry. Emballé en deux hantises de «poussière» et de lads à chevaux cabrés Lamborghini-Bentley, cette prière de fer, barrant rock hors-parlé-chantéen route, est un rhizome d’ Enzo, Macadam, Nuage d’or, Cœur défiguré.
Un pénultième interlude parlé à encaisser, avec l’éloge de la feuille de rose olfactive Odore di femina, au finale andalou d’opérette, et Tandis que s’offre capiteusement en écho, «jusqu’au bas de ses reins». Mal titrée, cette «splendeur « dans le fil de J’l’aime à l’envers ose, «sur la transe/ du miroir à deux faces» : des «Elle avait juste envie d’être nickel» et autre «Ça, pour moi, ça déchire» haute couture.
Chagrin. Approchant du terme, Parle-lui de moi, jaculation à fond l’emphase (piano, cordes, roulements de batterie, éclate de guitares électriques…), s’offre une variation du Mon Dieu inouï de Dumont amant de Piaf, offert sur le vif à sa môme tuée de chagrin en scène au soir du crash d’avion où son amour boxeur Marcel Cerdan périt. «Je regarde le ciel/ Les mains tendues vers toi/ Mon Dieu, si elle t’appelle/ Parle-lui de moi», dalidaïse le Christophe populaire. Grisant, saoulant selon, dans l’ordre des choses pathétiques maison, pompier à souhait, à ce stade du récital l’effet porte, lâché à fond. Cadence majeure et pompes progressive rock 70’s obligent. Satie cité clôt cet hommage en abyme non concerté au Willy DeVille du Chat bleu griffé Jean-Claude Petit.
Sur quoi Lita, sœur d’amour de Magda,n’a plus qu’à retirer l’échelle. Christophe, noyé dans ses reflets molinieresques de «Beau Guépard» de «la famille lamentable et magnifique des nerveux», la rend à «ses rêves de poupée» : «Démontés/ Remontés»… Wah-wah et fin «au bord du vide». Le grand générique sans fin, avec «Daniel Filipacchi au micro» en voiture-balai, agitant le chiffon rouge, tel papa Mitterrand chef de gare à Pont-l’Abbé, est en sus. Qui sait, pour plus tard… A prendre ou à laisser, mi-capharnaüm mi-«hospital»,incidents de parcours inclus.
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