CHRISTOPHE “Je suis un type hors du temps”

[david]

Photo@Molitor David


Beau bizarre inclassable, baudelairien plus vrai que nature, véritable Stanley Kubrick de la musiqueà l’allure de danseur mondain, crooner de drame taciturne, esthète lunaire et dernierdes Bevilacqua qui vit à l’envers, en décalage horaire constant, Christophe sort son neuvième album, Aimer ce que nous sommes.
Si, il y a quarante ans, il était le chanteur romantique yéyé qui criait Aline pour qu’elle revienne et construisait des marionnettes avec de la ficelle et du papier, Christophe est aujourd’hui un explorateur un inventeur, un alchimiste de sons, devenu orfèvre du studio, seul à savoir composer des chansons où le populaire fusionne avece technologique de façon aussi charnelle,accessible, distinguée. Christophe est une exception culturelle française, qui construit depuis maintenant une quarantaine d’années une oeuvre à tiroirs, mettant en dérout n’importe quel modèle de chanteur existantavec des albums fantasmagoriques, décalés,obscurs, faisant de lui l’un des mystères les plus tenaces de la chanson hexagonale.C’est en homme libre qu’il trace sa route dans la variété française, imposant un style, comme l’imprimatur d’un diamant brut à la chanson française. Il nous livre un nouvel opus sublime et chiqué, briqué et bricolé, atmosphérique et planant,sept ans après Comm’ si la terre penchait.
L’occasion pour nous de se pencher sur luiet de rencontrer ce marginal de la chanson,ce dandy un peu maudit, un peu vieilli...

Propos recueillis par DOMINIQUE PARRAVANO


Ce qu’on ne sait pas toujours, c’est que vos
vraies racines viennent du blues et de Brassens,
qui avait un vrai son, comme Elvis Presley
ou encore Ray Charles, que vous avez découvert
très tôt...

J’avais 9 ans lorsque j’ai entendu Brassens
pour la première fois. Je ne comprenais rien
à ce qu’il disait mais j’adorais son feeling
et le son qu’il avait. Et, je crois même que,
comme moi, Brassens faisait du yop avant
d’écrire ses textes. J’ai été fasciné aussi par
Presley ou Eddie Cochran et, bien sûr, le blues
à cette époque-là. Je suis un bluesman qui ne fait
pas de blues, par respect car je pense que c’est
vraiment une musique réservée aux Noirs.

Pour un amateur de blues comme vous,
travailler avec des synthés n’était-il pas
le comble de la trahison ?

Non, ce n’est pas une trahison. J’ai toujours
été influencé par le blues et je l’ai transposé
musicalement. Moi, je voulais faire un truc
personnel et les synthés, à l’époque, représentaient
l’avant-garde. Je me suis mis à écouter Kraftwerk,
des trucs planants. C’était un peu comme
le blues, comme une nouvelle source. Plus tard,
j’étais fondu de Gary Numan ! Et puis, Alan Vega,
mon Dieu, mon idole ! Voilà un type qui
a su mélanger mes deux passions.

Ily a un vrai travail du son. On sent que vous
aimez être en studio. De quelle manière
inscrivez-vous votre différence ? Par ce côté
chineur et chercheur de sons ?

J’ai mon home studio. Je suis un peu solitaire
à ce moment-là. Je suis un mélodiste autodidacte,
un chineur, un chercheur de sons. Ce qui
m’intéresse, c’est de faire un mélange
des synthés du moment. J’aime composer
de 18 h à 6 heures du matin.

La nuit ajoute-t-elle une dimension à votre
musique ?

Pour moi, les portes de la nuit ne sont jamais
fermées à clé. La nuit ajoute à la magie des choses.
Je vis la nuit, j’aime la nuit. J’aime plus la lune que
le soleil. Je connais mes marques dans la nuit.
Le jour transmet des ondes différentes. Si je devais
vivre le jour, ce serait sur un voilier car on est
en marge, au milieu de l’eau.


Qu’aimez-vous de l’univers de la nuit ?

Quand arrivent 21h30, je commence à organiser
ma nuit. Je rentre dans l’inconnu. Depuis l’âge
de quinze, seize ans, j’ai toujours été comme ça.
Même durant mes voyages en stop, je préférais
la nuit. La nuit, c’est un silence apaisant et un
respect de l’autre que j’aime bien. On vit au
même rythme. C’est un luxe. La nuit, je regarde
les lumières.


Est-ce à dire que la solitude vous
est indispensable ?

Je suis un solitaire, mais ça ne veut pas dire
que je suis automatiquement dans la solitude.
J’aime le partage. À une époque, je vivais
beaucoup plus le jour, parce que j’avais une
passion. Tous les jours, j’allais à l’hippodrome
d’Auteuil faire ma partie de boules. C’est mon
côté joueur.


Créer du son est-ilaussi important
pour vous que d’écrire des chansons ?


J’ai une passion de sons. C’est ma grande
passion, à part les parfums, les juke-boxes,
les voitures et les 78 tours de blues. Créer
du son est aussi important pour moi qu’écrire
des chansons.


C’est pour cela que vous aimez tant la musique
des DJ’s ?

Ah oui ! J’adore les DJ’s ! Surtout Asia Argento
ou Pacman qui a une approche du son
qui me paraît très personnelle. J’ai sans
cesse besoin d’écouter de nouveaux trucs.
Si tu m’enlèves la musique, je suis mort. Comme
si tu m’enlèves les bagnoles ou les femmes.
Je vais chez les disquaires, je fouine, je demande
des conseils. Et, je crois aussi que j’aurais
aimé faire de la pub. La pub, ça ne se cherche
pas. On est né pour la pub, je pense.


Aimeriez-vous réenregistrer certaines
de vos chansons avec le bon son ?


Le bon son, c’est le son du moment.


Vous accordez également une grande
importance aux textes. Pour les mots, vous
procédez souvent par flash avec des bouts
d’entretien, etc.


L’écriture est quelque chose de très particulier
chez moi. Dans mon précédent disque, j’ai utilisé
des bouts d’entretien que j’avais donnés
et que j’ai collés.


Votre musique est très aérienne. Diriez-vous
que vous êtes un créateur d’espace musical?

Je dirais que ma musique est lunaire. Je suis
attiré par la lune, elle me régénère. Quand
il y a du soleil, je me mets à l’ombre.
Ma musique forcément est imprégnée
de tout cela.


On le sait, vous aimez beaucoup les bandes
originales de films. Vous ne travaillez pas
du tout comme un chanteur. Vous avez une
façon très cinématographique de concevoir
vos albums...


J’aime beaucoup les bandes originales
de films. Ces musiques sont très émotionnelles.
Je ne travaille pas du tout comme un chanteur.
Des images me traversent, je me fais mon film.
Il y a un côté mini-scénario des choses. Je vois
un film par jour en DVD. La chanson pour moi
est un court-métrage. J’aime aussi beaucoup
le cinéma muet. Dans le cinéma muet, il y a
aussi du son, d’autres sons. Je suis habité
par le silence.

La dernière fois qu’on vous a quitté, vous étiez
monté sur scène après vingt-six années
d’absence. Quels souvenirs en gardez-vous ?


C’était magique, émouvant et thérapeutique.
J’ai fait ma dernière scène en 1976 à l’Olympia.
J’étais très peu habitué aux concerts. Ces concerts
m’ont préparé à quelque chose de nouveau, à ce
nouvel album. J’avais envie de revivre le voyage
de toutes ces années avec le public.


Le titre de votre nouvelal bum est Aimer ce que
nous sommes. Aimez-vous ce que vous êtes ?

Oui, même si j’ai un code d’honneur un peu
suspect ! (rires). Je ne suis pas un saint, je suis
un homme comme tout le monde avec ses hauts
et ses bas, ses qualités, ses défauts. Je m’accepte.
Seule ma taille m’a complexé.


C’est de la fausse modestie. Vous savez
très bien que vous êtes quelqu’un d’à part ?


Je suis un type hors format, hors du temps, c’est
vrai, mais je ne me sens pas au-dessus des autres
pour autant. Je suis un homme du voyage dans
une bulle particulière, j’en conviens. Mais, j’aime
les gens, je suis à leur écoute. Je ne suis pas
coupé du monde pour autant même si je ne vote
pas et que je n’ai pas de montre !


Pour revenir à votre taille qui vous a complexé,
vous faites d’ailleurs vous-même vos vêtements
et vos bottes !

Oui, c’est mon côté masculin-féminin ! À cause
de ma taille, je me suis créé des vêtements
sur-mesure dans lesquels je me sens bien
et qui tombent impeccablement. J’aime me sentir
à l’aise. J’ai toujours créé mes bottes également.
Je les dessine et les choisis avec Capobianco,
le célèbre bottier italien.


Vous avez d’ailleurs changé de bottes…
Fini le rouge de vos bottes de l’époque de votre
chanson Ne raccroche pas ?

J’ai beaucoup changé. Maintenant, mes bottes
sont en cuir noir, avec une fermeture éclair
en trompe-l’oeil, et doublées de la couleur
du plaisir, le parme.


Vous êtes dandy. Vous aimez l’élégance.
Vous l’avez même chanté que vous étiez un
“dandy un peu maudit, un peu vieilli”…

Si je suis dandy, ce n’est pas prémédité. Je n’ai
jamais cherché l’élégance. Ce qui compte, c’est
d’être bien dans ses fringues. J’ai été un des
premiers, avant Serge Gainsbourg, à mettre
une veste avec un jean.

C’est une philosophie.

Revenons à votre album. L’avez-vous fait
de manière instinctive comme beaucoup
de vos albums et en quoi est-il différent
de votre précédent disque ?

Je crois que chaque album est unique car il est
impossible de revivre les mêmes émotions. Il est
encore plus différent et instinctif que les autres car
il rassemble les sons du moment. Là, cet album
est né grâce à Magda, une serveuse hongroise du
restaurant de l’Hôtel Costes que j’ai rencontrée.
C’est cela le mystère de la création. J’ai été inspiré
de la même façon que lorsque j’ai fait la chanson
Elle dit, Elle dit, elle dit sur mon précédent album.
C’est quelque chose d’impalpable, d’insaisissable
donc forcément pour moi un album ne peut
pas ressembler à un autre. Je sens toujours
si je suis inspiré par quelque chose.


Ce qu’on ne sait pas toujours, c’est que vos
vraies racines viennent du blues et de Brassens,
qui avait un vrai son, comme Elvis Presley
ou encore Ray Charles, que vous avez découvert
très tôt...