Christophe de A à Z

[david]

@ David Molitor Christophe passion officiel


Pour son nouvel album, couleur andalourock, l'immarcescible Christophe a invité notamment Isabelle Adjani, Sara Forestier et Daniel Filipacchi. L'occasion, pour François Armanet, de lui faire décliner son alphabet intime


Il y a un mois, Christophe n'avait pas fini d'enregistrer ses dernières voix. Cherchant encore une respiration, une note de couleur, pour «Aimer ce que nous sommes», chef-d'oeuvre attendu, à paraître le 30 juin. «Au moment d'assurer la livraison, dit-il, on se permet encore de chahuter.» Depuis 2003, l'album est en chantier. «On est toujours habité par trois disques à la fois.» Bricoleur de mots, amoureux de sons, «le gitan blond» (selon Bashung) au timbre atypique peut rendre fou une maison de disques.

La nuit tombe sur l'immeuble Art déco de Montparnasse. Dans son «home studio», une table de mixage, face à une baie vitrée. Pêle-mêle, un piano à queue, une table de jeu, six juke-box emplis de labels obscurs, deux guitares électriques, des photos (Chet Baker, Louise Brooks, Mchel Simon...) des peintures (nus, marines, club de jazz...), une Vierge en bronze, des pin-up de camionneurs, éventails précieux, escarpins en Plexiglas des sixties hantent l'univers du dandy autodidacte. Le bric-à-brac est subtilement disposé. Comme dans son nouvel album où se marient rock à double tranchant, guitares andalouses, cordes baroques et mélodies tourne-coeur et où s'entremêlent des invités de marque : Carmine Appice, le batteur de Vanilla Fudge, les trompettistes Erik Truffaz et Jac Berrocal, le guitariste flamenco Moraito Chico, l'actrice Sara Forestier ou la photographe Denise Colomb. Christophe Van Huffel, guitariste de Tanger et fidèle compagnon de route. En introduction, la voix d'Isabelle Adjani. Le générique de fin est récité par Daniel Filipacchi. L'album aura 13 titres (chiffre fétiche du chanteur, né un 13 octobre). Pour «l'Obs», Christophe a bien voulu faire son autoportrait de A à Z.

A comme Adjani
«Quand elle chante, Isabelle, il se passe un truc. Je l'ai invitée sur cet album et j'ai aimé la mettre en scène sur ce joli fauteuil rouge en acier trempé. J'ai enregistré sa voix. Un instant magique.»

B comme boule
«Comme B.B. ou Buick, parce que quand on croise une belle calandre de Buick, on ne s'en remet pas. Boule ? Je n'ai jamais employé le mot «pétanque». Moi, j'étais un homme du terrain, pas un touriste de la pétanque. Un moment je me trimballais avec au moins cinq triplettes : toujours quinze boules dans le coffre de la voiture. Voilà des moments qui me manquent terriblement. Tu roules tranquillement pour apprécier le parfum de la nature, et tout à coup tu aperçois un petit chemin sur la droite, un bel ombragé. Tu t'arrêtes sur le bas-côté, tu sors les boules, et tu frappes pendant une heure. Parce qu'il faut toujours s'entraîner à tirer un peu quand tu es moyennement bon, pour attaquer les bons.»

C comme cirque
«Comme chanson, Léo Ferré évidemment. Callas, je ne prends jamais mon thé sans Callas. Camille, pour sa belle folie. C'est une jeune grande femme. Cochran, mais pas Cash. Ni Johnny Cash ni country music. Cirque. J'y ai vécu trois mois extraordinaires. Un soir, j'ai fait la cage aux lions avec Arlette Gruss, elle peut le confirmer. C'est vrai que qui dit chanteur dit mondain, moi ce n'est pas mon style. J'aime le cirque, j'aime le trapèze. J'ai toujours aimé les forains. Quand j'étais jeune, je traînais devant les manèges, je regardais. Il y avait des manèges qui s'appelaient les «chenilles». Un truc terrible pour embrasser les filles, la chenille, parce que, pour ceux qui ne connaissent pas, il y avait un moment, quand ça s'arrêtait, où un soufflet se mettait en marche sur une des banquettes. Et les robes des filles se soulevaient à la Marilyn, dans un hurlement.»

D comme disque
«Ma collection de 78-tours, bien sûr. Le blues, c'est en 78-tours. J'ai acheté récemment trente 78-tours de J.B. Lenoir, Sun House, introuvables. Les disques rares, les mecs qui chinent, qui t'envoient des listes, les échanges possibles, et là tu te régales. Et puis les disques qui t'accompagnent un temps. «The Beat Goes On» de Vanilla Fudge, je le trimballais partout.»

E comme Elvis
«Elvis, c'est simplement le parfum qui m'habite toujours. Mais le premier choc, pour moi, c'était Bourvil, «les Crayons». Du pur génie. Ou Michel Simon qui chante, c'est fou, c'est beau. Et puis après, je passe au blues. A 13-14 ans, je commence à jouer un peu le blues sur le piano, à faire des apparitions dans des caves de banlieue le samedi soir. Et plus tard, j'ai fait «Aline», un blues aussi.»

F comme Ferrari
«La mécanique plutôt que le flirt. Le dernier voyage que j'ai fait avant qu'on me supprime mon permis, c'était le Puy-de-Dôme. J'adorais prendre mon baluchon et rouler au hasard. Maintenant, je suis un pauvre piéton, un Christophe sur la route sans Saint-Christophe. A vrai dire, j'avais perdu ma médaille depuis longtemps. C'est parce que ma grand-mère me l'avait offerte que j'ai changé mon nom [Christophe s'appelle Daniel Bevilacqua, NDLR. Je ne sais pas pourquoi, j'avais mis ma médaille dans un sac, à Lille, à l'arrière d'une Daytona un modèle de Ferrari, NDLR]. On m'a cassé la vitre, on m'a juste pris ce qu'il y avait à l'intérieur. On ne va pas pleurer...»

G comme guitare
«Mes guitares préférées : la Gibson SG de 1962 et la Gretsch 55, la même que Cochran, orange avec le «G» brûlé (en fer à cheval) et reverni, le cactus sur le manche nacré. C'est physique une guitare, c'est une résonance.»

H comme Harley
«H, c'est tout ce qui n'est plus mon truc. Le haschich. La Harley, aujourd'hui je n'ose plus en parler. C'est un mot que je ne prononce plus. C'est une race disparue.»

I comme illuminé
«J'aime le mot «illuminé». L'illumination, c'est un passage secret. Ceux qui pensent vous connaître en parlent, alors que vous, vous ne savez même pas ce que c'est.»

J comme juke-box
«J'en ai six. Celui-là, c'est l'Aireon, dessiné par Raymond Loewy en 1949, à l'époque de la Studebaker. Il est rempli de jazz. En 78tours. Charlie Parker, Louis Armstrong, Erroll Garner, Coleman Hawkins et beaucoup de Billie Holiday. Les autres que j'aime : Chet Baker, Gerry Mulligan, Stan Getz.»

K comme Kill Bill
«Surtout le 2. Quand un mec comme Tarantino met ta musique dans son film et qu à la fin du générique, tu vois ton nom, c'est irréel. Dans le 2, il a pris une musique de «la Route de Salina» que j'ai composée, c'est beau, non ? Là, je suis en train de me revoir chez moi avec ma collection. 500 copies originales. Je me suis projeté des dizaines de fois «Mort à Venise», «Taxi Driver», «Sunset Boulevard», «Badlands» ou «Elephant Man», mon préféré. Mais aussi des séries B, qui les valent, comme «l'Incident» de Larry Peerce, extraordinaire.»

L comme lecture
«Artaud, Mchaux, Bukowski, Sagan, Selby. J'aime qu'on me fasse la lecture. Avec toujours une préférence pour John Fante, surtout «Demande à la poussière». Artaud, c'est une autre histoire. J'apprécie les nouvelles. Richard Ford, j'aimais bien son écriture et les prénoms qu'il donnait. Dans «Rock Springs», je crois, il y avait Camilla, j'avais adoré ce prénom.»

M comme menteur
«Mécano, mécanique, mirage, message, mort. J'aime bien cette lettre M, aimer. Médium. C'est un beau mot. Je crois beaucoup aux médiums. Hé oui : menteur comme chanteur.»

N comme nuit
«Oui, noctambule. Je vis la nuit. Pour l'instant, je n'ai pas encore bougé mon cycle. C'est le temps qui me change. Quand il est doux et caressant, tout d'un coup, tu as envie d'en profiter un peu, donc tu changes tes paramètres.»

O comme Olympia
«Je ne me rends même pas compte que j y suis passé un jour. Le seul concert où j'ai bondi de mon siège, c'est pour James Brown. La cape à la fin, tout le ciné, ça m'avait rendu fou. J'ai eu une grande histoire avec James Brown, parce que je l'ai accompagné à la guitare et avec une boîte à rythme, et l'ai fait danser devant 250 personnes dans un live que Denise Fabre présentait, à 18 heures ! Lui donnait un concert le soir sur la pinède d'Antibes, et moi j'étais en promo. On a sympathisé. Ces moments-là, on n'oublie pas.»

P comme peinture
«P, je te dis Pinin Farina, pin-up, poker, piano à queue, Paris, poupée, peinture. J'aime la peinture. Comme Daniel (Filipacchi). Je pense que c'est lui maintenant qui a «Oh ! Calcutta ! Calcutta !» de Clovis Trouille. Tous ses Molinier, une merveille. Tiens, au-dessus du juke-box, j'ai une toile derrière de Gay Johnson. Je crois qu'à l'époque j'ai dû l'échanger à Daniel contre une pompe à essence. Il a toujours été très généreux. Il y a toujours un deal, mais il ne le fait pas toujours en sa faveur.»

Q comme queue de billard
«J'y joue souvent. Autrefois, Darry Cowl m'a donné des bonnes leçons. On jouait à la quille (c'est un jeu de blé), un jeu très pointu.»

R comme rock
«Rock, oui, bon. «On the rocks». Le champagne peut t'accompagner toute une nuit. Le cocktail, il y a un moment où tu bascules. Le «whisky sour», c'est très bon. Le «bull shot», c'est le cocktail des jazzmen, des bluesmen. Et j'en ai vu quelques-uns tomber autour de moi, c'est méchant, parce que c'est à base de consommé de boeuf. Quand il y a eu la «vache folle», on ne trouvait plus de bouillon. Alors, ça ne se fait plus.»

S comme son
«Steinway, sensualité, saveur. J'aime la sonorisation. Je travaille comme un petit artisan. Je bricole. Tout ce que je crée comme sons, synthés, pianos, est fait maison. Quand je bouge, j'ai toujours avec moi mon «Savage studio», de quoi enregistrer des sons à l'improviste. Les musiciens, je les intègre peu à peu. Je ne fais pas de session. Je travaille comme sur une robe : un moment on coud l'ourlet, à un autre les boutons. Je place le chant au dernier moment. Il y a des heures où je trouve ma voix. La fatigue résonne. La voix voilée du soir ou rauque à 4 heures du matin en fin de poker.»

T comme tatouage
«J'en ai un. J'ai mis très longtemps avant de choisir cet aigle. C'était Bruno de Pigalle, un des maîtres de l'époque, parce qu'il en tatoué plus d'un. Il est au bras gauche. C'est comme un tableau, c'est mon tableau. Comme un reflet à l'extérieur de l'art à l'intérieur. J'ai toujours été fier de mon tatouage. Le premier, que j'ai juste en dessous, c'est une petite croix que je me suis faite à 18 ans, à l'encre de Chine, avec une épingle. J'aimais les croix.»

U comme urgences
«Les urgences, je connais. Je suis passé par là comme tout le monde, enfin comme ceux qui ont vécu un peu dans l'excès. Pour l'instant, tout va bien.»

V comme vitesse.
«De voir que j'étais bon, ça a toujours été extraordinaire pour moi. Sur les trois courses que j'ai courues, j'ai gagné deux fois, dont une victoire en 1968 sur le circuit de Magny-Cours. Je courais sur Porsche en groupe 5. J'aime la vitesse, pas à «la Fureur de vivre», mais celle où il faut connaître parfaitement ses limites pour être le meilleur.»

W comme What
«Je vais essayer de trouver un truc frappant. «What Ever Happened to Baby Jane ?», film de Robert Aldrich. Avec Bette Davis et Joan Crawford.»

X comme genoux
«Je croyais que c était fini, tu te rends compte, pour moi l'alphabet s'arrêtait au W ! X, je ne connais pas. X, c'est genoux, cailloux... le truc qu'on apprend à l'école. Au Scrabble, le xylophone. J'ai horreur de ça. Mais pourquoi toujours parler de ce qu'on aime ?»

Y comme Yopp
«J'ai inventé «yopp» avec deux p. Parce que Yop, le yaourt avec un p, est une marque déposée. Je commence toujours par enregistrer ma voix en yopp. Avant l'écriture, des sons. Dans l'album, «Magda» est un yopp français, elle n'a pas été écrite. J'ai rajouté des choeurs après, j'ai fait un habillage.»

Z comme Zavatta
«Il était dans le cirque. Zavatta, c était un type très dur. On se croisait aux boules, avant la représentation, sur un terrain vague. Moi, souvent, j'allais faire des balades à cheval, parce que les chevaux, au cirque, c'était l'école espagnole. J'étais bon cavalier à l'époque. J'ai dressé deux chevaux quand j'avais 14 ans. Leur mettre une selle la première fois ! Mon oncle avait des chevaux, il me les a fait découvrir. Je passais tous les jeudis et tous les samedis-dimanches avec lui. Puis j'ai drivé. A Grosbois, à Cagnes-surMer. On m'a proposé de prendre ma licence. Quand je me suis décidé, je suis tombé sur un emmerdeur. Fin de l'histoire.»

«Aimer ce que nous sommes», Disques AZ. Sortie le 30 juin.

Né en 1945 à Juvisysur-Orge, Christophe est auteur d'«Aline» (4,5 millions d'exemplaires), des «Paradis perdus», des «Mots bleus» et de «Succès fou». «Aimer ce que nous sommes» est son roisième album depuis 1996,