Dans la lune

[david]

Il a la moustache virile, la cinquantaine affichée, mais la spontanéité joyeuse d’un gamin. De son univers nomade et nocturne, où se côtoient pin-up et belles mécaniques, électronique et acoustique, sortent des disques de plus en plus étranges.

Le Nouvel Observateur. – Vous ne portez plus vos bottes!

Christophe. – Mes vieilles Lucchese? Elles sont chez le cordonnier. Mais ce sont bien elles qui posent sur l’album.

N. O. – Vous êtes connu pour vos objets fétiches: juke-box, voitures de sport, collection de bakélite …

Christophe. – Je ne suis pas un vrai collectionneur: tout vient des émotions. Je suis allergique à la notion de bail, mais je ne me séparerai jamais ni de mes 78-tours de blues, ni de mes pin-up en tôle. Mes objets me font partir ailleurs. Les voitures, ça m’a un peu passé. Je parle de celles qui sortent de l’ordinaire, n’est-ce pas, période 1947-1959. Des sculptures irréelles dont je me surprenais à toucher les formes, étonné comme les singes de «2001, l’Odyssée de l’espace» devant le monolithe. J’aime aussi les bolides rouges qui possèdent un son, qu’il faut savoir démarrer, chauffer, où tout est au millimètre près. Et les motos.

N. O. – Mais, saint Christophe, vous n’avez plus le permis?

Christophe. – Non, depuis deux ans… J’ai perdu tous mes points pour excès de vitesse. Si je les retrouve, j’aimerais une Harley Police pour la peindre en un bleu lilas, avec un liseré violet. Ce sont mes couleurs.

N. O. – Comment passe-t-on du blues à la techno?

Christophe. – Dans tous mes disques, je rends un hommage à un bluesman. Là, c’est Big Joe Williams, le créateur de «Baby please don’t go» (Il se met à le fredonner). Je cultive le blues depuis l’adolescence, mais je ne peux pas le chanter: je suis blanc, francophone et bien trop puriste. Je suis blues dans la mesure où je suis resté autodidacte. J’aime, non pas chanter, mais faire du son avec ma voix. Ou avec autre chose. J’utilise les samplers depuis qu’ils existent. Je connais mal mes limites, je peux créer à l’infini.

N. O. – Vous ne voyez pas non plus le temps passer?

Christophe. – Je suis complètement déphasé, et depuis toujours. Je n’ai jamais porté de montre. Prendre le temps, c’est la seule drogue que je n’ai pas arrêtée.

N. O. – C’est vrai que vous découpez les passages des romans que vous aimez?

Christophe. – Pas exactement. Je les annote. Ce que je découpe, ce sont les magazines. Je fais mes propres books, vous savez des classeurs avec des pochettes plastiques. Il faut les voir pour comprendre. Tenez ( Il fouille dans son sac, et sort un volumineux dossier), là, j’en ai un. Mais ce n’est pas un book normal, son contenu ira rejoindre d’autres books. Voilà une liste de pièces de voitures que je cherche pour un copain, un nu de Molinier, Betty Page, Al Pacino… Là, ce sont des paroles de chansons, et là, ce sont «les mots des autres»: ceux de mes proches comme ceux d’Artaud ou de Fante. Un article sur Sean Penn, un sur Cassavetes… C’est mon univers, des impressions, des images, des idées, que je suis bien obligé de stocker.

N. O. – Vous êtes un être lunaire.

Christophe. – Complètement. Et je suis pour la lune montante. Quand elle décroît, je me sens moins bien. Comme elle, j’ai des éclipses. Oui, c’est ça, je suis dans la lune. Laure Garcia


Christine Deymard