Christophe : "La nuit, je rentre dans l’inconnu"

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Photo David Molitor

Album . Après Comme si la terre penchait, le chanteur sort Aimer ce que nous sommes. Un album noir et rock aux nombreux effets sonores mêlés de guitares et de bricolages électro.
Lunettes bleutées, cheveux blonds ramenés en arrière, Christophe donne rendez-vous en soirée. Depuis toujours, il adore la nuit, composant la plupart de ses mélodies durant ces instants de « silence apaisant ». À soixante-trois ans, le chanteur d’Aline et des Mots bleus revient avec Aimer ce que nous sommes. Un album d’une densité noire et rock co-réalisé avec Christophe Van Hufel (guitariste du groupe Tanger) où se croisent cinéma, résonances autobiographiques et atmosphères sensuelles. Le tout sur fond d’ambiances de blues-électro atmosphériques. Après les enregistrements Bevilacqua ou Comme si la terre penchait, il continue d’inventorier sa bulle musicale en génial bricoleur de sons. Rencontre avec un des artistes les plus créatifs de la chanson française.

Qu’aimez-vous de l’univers de la nuit ?

Christophe. Quand arrive 21 h 30, je commence à organiser ma nuit. Je rentre dans l’inconnu. Depuis l’âge de quinze, seize ans, ça a toujours été comme ça. Même durant mes voyages en stop - parce que je kiffais ces moments-là -, je préférais la nuit. C’est le monde de ma vie. Il y a des gens qui vivent le jour et d’autres qui vivent la nuit. Et ce ne sont pas toujours ceux du jour qui font l’amour avec ceux de la nuit. La nuit, c’est un silence apaisant et un respect de l’autre que j’aime bien. On vit au même rythme. C’est un luxe. La nuit, je regarde les lumières.

Est-ce à dire que la solitude vous est indispensable ?

Christophe. Je suis un solitaire, mais ça ne veut pas dire que je suis automatiquement dans la solitude. J’aime le partage. À une époque, je vivais beaucoup plus le jour, parce que j’avais une passion. Tous les jours, vers 15 heures, j’allais à l’hippodrome d’Auteuil, faire ma partie de boules. C’est mon côté joueur. Et je conduisais la Ferrari la nuit. Je me suis fait enlever mon permis de conduire par rapport à des excès de vitesse. Partir, comme ça, quand on a deux, trois jours, c’est un sentiment de grande liberté.

Aimer ce que nous som-mes comprend de nombreux sons de guitares très étirés, de synthétiseurs, de piano donnant l’impression d’un registre presque filmique. Vous arrive-t-il de travailler à partir d’images ?

Christophe. Non, mais l’image, elle est toujours présente car je vois beaucoup de films. Abel Ferrara, Jim Jarmush sont des noms de cinéastes qui me sont familiers. Je regarde un film par nuit. Ça projette et impressionne. Comme je travaille d’instinct, il m’arrive de composer à partir du piano des sons bizarres. Je fais souvent tourner le son, car je connais le hasard. Le miracle, on ne l’a pas deux fois. Ce qui compte, ce ne sont pas tant les moyens techniques, que ce qu’on attrape, une émotion qui va donner la dimension.

L’album s’ouvre d’ailleurs par la voix d’une figure du cinéma, Isabelle Adjani dans Wo wo wo wo…

Christophe. Pas n’importe quel personnage du cinéma. Isabelle, c’est quelqu’un de troublant. Le film qui m’a fracassé, c’est Possession de Andrzej Zulawski. Une oeu-vre d’art. Ça dépasse tout. J’ai kiffé quand elle a accepté. On s’est rencontré au moment où elle jouait Marie Stuart. Je ne voulais pas faire de duo, mais du son sur cette chanson. La façon dont elle chante est magique. Il y a une sensualité. Au départ, je voulais Alain Bashung pour l’ouverture. On a souvent chanté les Mots bleus ensemble, à Montréal ou ailleurs. Mais Alain était complètement dans l’enregistrement de son album. Je lui ai laissé du temps, je voulais attendre. J’aime bien sa façon de ne pas dire de mots. Il fallait quelqu’un qui respire. Après, il a fait un truc avec Daniel Darc. Je me suis dit, c’est trop tard. C’est fini.

C’est curieux, car vous parlez moins de chansons que de son…

Christophe. Parce que le son, c’est comme une jouissance. Je suis un passionné.

Vos ambiances sont majoritairement atmosphériques, mais elles gardent des résonances de blues et de rock…

Christophe. Ce sont mes racines. Après Bourvil que j’ai eu en 78-tours, après Léo Ferré que j’écoutais sans trop comprendre à l’époque, Brassens, Jean Constantin qui chantait Où sont passées mes pantoufles (rires), le blues ça me parlait. Je n’ai jamais compris, car je ne suis pas bilingue. Mais il y avait l’âme, les guitares. C’est pour ça que j’aime l’Andalousie. Quand les Gitans jouent de la guitare, ils le font vraiment avec leur coeur.

Qu’entendez-vous par « je suis ce que je cherche et quand je trouve, je fais »(« Interview de ») ?

Christophe. Ça ce sont des écrits qui me viennent au réveil. C’est de la parole pensée. C’est juste une phrase, mais quand tout à coup, ça déroule, on ne peut plus noter. Ce que j’aimais bien chez Duras - je ne pouvais pas lire ses livres - c’était sa manière de parler. Je pouvais l’écouter jusqu’au bout. C’est bien de ne pas passer à côté. Ça, c’est des choses que j’ai notées. J’en ai plein mes enregistreurs. Ça fait partie de ce que les autres m’ont fait : Marie-Pierre Chevalier qui a écrit quatre textes en beauté, Christophe Van Hutel qui a réalisé l’album. C’est mon disque, mais c’est le sien aussi, Florian Zeller… Si j’ai une qualité, c’est ma rencontre avec les gens. Je pense être altruiste, généreux. C’est en moi. Je crois que c’est pour ça que ces gens-là m’apprécient.

Qu’y-a-t-il de commun entre le chanteur d’Aline ou les Mots bleus et le Christophe d’aujourd’hui ?

Christophe. Il y a un truc basique, c’est l’envie de son. Quand j’avais douze, treize ans, je tapais partout pour en créer. Petit, je me mettais même dans des lessiveuses métalliques, pour faire de l’écho. Avec des couvercles, je faisais des résonances d’escalier. J’aimais le son provoqué par l’espace. Je ne chantais que du blues avec mes mots à moi, juste accompagné d’une guitare ou d’un piano. Après, j’ai voulu entrer dans quelque chose avec plus de matière sonore. Les studios professionnels m’attiraient. J’écoutais Elvis. J’ai fait mon premier 45-tours à seize ans, comme ça. Et puis à vingt ans, j’ai fait Aline, qui pour moi est un blues, même si le morceau est joué varieté. Ça reste tout de même de la variété de qualité. C’était ma première rencontre avec le monde du spectacle, des musiciens, le premier feeling avec tel batteur, tel guitariste. Les mecs avec lesquels ça passait moins, c’était les autres chanteurs qui sont tous un peu jaloux entre eux. Ça m’a donné l’envie d’avancer. Sinon, l’esprit est le même. J’essaie de vivre le présent au top, avec mes hauts, mes bas, mes délires…

Odore de femina, Tandis que, Lita, les thématiques de vos chansons sont souvent féminines…

Christophe. C’est un album assez fétichiste. Un beau mot. C’est aimer des choses parfois impossibles. Comme je dis toujours, la priorité de ma vie, c’est l’amour, le bel amour et l’amour général de la vie. Après, vient la musique, l’art. Tout cela est lié. On ne vit qu’une fois. Entre la réalité et le rêve, le temps passe vite.

Christophe « chanteur culte », ça vous convient ?

Christophe. Cela fait plaisir, mais, ça ne change pas mon costard, ma façon de marcher, ni mon film. Dans la tronche, je n’ai pas bougé, je crois. Ce sont juste les années qui ont passé. C’est tout.

Aimer ce que nous sommes chez AZ / universal.

Christophe se produit

le 14 juillet à la tour Eiffel accompagné d’un orchestre

à cordes avec une version inédite des Mots bleus

et un titre de son nouvel album, Parle-lui de moi.

Entretien réalisé par Victor Hache