Christophe rôde parmi les «Vestiges» de la pop

[david]

Christophe rôde parmi les «Vestiges» de la pop

ChansonAvec «Les vestiges du chaos», le chanteur livre une musique synthétique au fort parfum de fantasme
Des nappes de synthés, des sons soyeux. Coulis d’accords doux, voix transformées par l’électronique, guitares spacieuses. Langueur. Amour. Eros. Nécessairement la nuit. En 2016, cinquante ans après Aline, Christophe poursuit son chemin dans les voies de traverses, effaçant encore une fois les traces de sa précédente formule pour en débusquer une autre.

Avec Les Vestiges du chaos, dernier effort studio entièrement original après Aimer ce que nous sommes en 2008, disponible dès vendredi, le séducteur frémissant au timbre haut perché a pondu un album aérien, fantomatique, traversé d’un chant lent se répercutant en échos infinis. Paroles caressantes, visions décalées, de «scoubidous» dont on fait un accessoire SM (Les mots fous) aux «draps froissés» de la chanson titre Vestiges du chaos, textes de l’ami Jean Michel Jarre comme en 1973 pour Les paradis perdus.

Pure expérimentation

C’est une variété soignée qui, dans ses atours fatigués, déploie une ambiance mélancolique. Du grand Christophe, nourri de mélodies stockées en guise de réserve de guerre. D’où les «vestiges». Puis vint ce moment désagréable où le bonhomme s’est rendu compte que ses collaborateurs attitrés ne le comprenaient pas. Il les a virés, pour tout remonter seul. D’où le «chaos».

Une caractéristique du célèbre «beau bizarre» reste qu’il ne colle à aucune étiquette. En termes stylistiques d’abord, brassant pêle-mêle disco, new wave, rock indus et variété. En termes d’intentions également: l’homme a réussi des tubes, Aline, Les marionnettes, Les mots bleus, choses anciennes pour l’essentiel. Mais, plus le temps va, plus une chanson de Christophe s’envisage avant tout en pure expérimentation. De tentatives orchestrales nouvelles en tentations jamais totalement abouties. Autant de pistes que l’auditeur peut emprunter en oubliant le reste de l’album. Autant de petites choses qui s’ouvrent parfois en de précieux pétales, laissant apparaître le bourgeon d’un autre tube.

Ainsi de Tangerine, un nouveau duo avec Alan Vega du groupe Suicide, vingt ans après Rencontre à l’as Vega. Beat disco, basse lourde, deux voix croisées: la mélodie aiguë de Christophe évoquant ces refrains cristallins qu’affectionne Mylène Farmer, efficaces et naïfs. Et le parlando grave, fiévreux de Vega, charismatique et délétère figure dont se sont nourris bien des chanteurs rock.

Christophe a-t-il, lui aussi, valeur de modèle? A vrai dire, non. Le compositeur qu’il reste depuis ses débuts il y a un demi-siècle ne fait pas tant la mode qu’il ne la contourne, la contrecarre. Ecouter Drone invite aux retrouvailles d’avec les climats indolents de sa jeunesse. Prêter une oreille à Tu te moques nous renvoie sans équivoque à l’écriture de Gainsbourg. S’irriter, tout de même, de la voix déformée sur Mes nuits blanches, indique qu'il n'y a là rien de conforme.

Les vestiges du chaos, ce sont encore des femmes: la voix d’Anna Mouglalis, en confession intime sur E Justo. Et le corps entravé de l’actrice Sara Forestier dans le tout premier clip jamais réalisé pour Christophe, Dangereuse. Christophe qui fantasme. Christophe qui fait l’éponge. Et prétend n’être «une pointure en rien», juste capable de «conjuguer» ses «failles», ainsi qu’il le raconte à Télérama. Serait-ce le secret d’une musique éternellement abordée comme la toute première fois? Et de la sorte, échapper aux affres de la vieille gloire courant après le présent. A rôder ainsi, solitaire, libre, Christophe déniche encore des pépites.