Alain Kan ex beau-frére de Christophe

[david]

Je vais ce soir, parce que je savais pas quoi faire, vous faire découvrir un chanteur un peu particulier.
Il me tient particulièrement à coeur parce que c'est un chanteur oublié, maudit, le genre d'artiste qui demande une initiation particulière. Les gens qui le connaissent sont rares, et c'est un trésor que de connaître et aimer sa musique. je vais donc essayer de vous en donner un aperçu, sachant que ce qu'on trouve de lui sur Internet ça tourne vite en rond. (grosso modo, toujours les mêmes chroniques, peu nombreuses d'ailleurs).


Alain Kan



Il a débuté au côté de Gainsbourg, de Dani ou de Régine, dans le Paris de bohème des années 70. Une gueule d’ange, des chemises proprettes de gendre idéal, bientôt remplacées par un maquillage outrancier, et une musique de plus en plus punk, qui se revendique comme « du rock de pédé ». En son temps, la presse l’avait surnommé le Bowie français. Mais depuis sa disparition mystérieuse, son nom et son œuvre sont relégués à l’oubli. Alain Kan, c’est un peu une musique qui s’écoute de manière intimiste, dans la fièvre d’une chambre obscure, c’est un nom qui ne se murmure plus qu’entre initiés. Voici le portrait d’un ange déchu, foudroyé en pleine jeunesse, un Morrison d’un autre genre, un autre Rimbaud du rock’n’roll.

Une formation bouillonnante

Alain Kan est né un 14 septembre 44 à Paris. Entre deux SS, dira-t-il. Son père, il ne l’a jamais connu, et sa mère s’est remariée très vite. Kan est donc le nom de son beau-père, bien que celui-ci ne l’ait jamais reconnu. Il grandit dans cette famille recomposée, élevé avec la fille de celui-ci, Véronique (Bevilacqua), née quelques années après lui. Pendant une partie de sa vie, Alain va chercher l’homme à qui il doit la vie, et cette absence s’exprime dans de nombreux textes.

En 1963, il sort un premier 45T chez PAT, Si l’amour / Quand tu reviendras. Ces deux titres sont ensuite suivis par plusieurs autres singles. Les titres sont composés et écrits par des paroliers, Alain Kan prêtant sa belle gueule et sa voix. Plusieurs de ces morceaux sont des adaptations françaises de morceaux de Paul Anka. Il s’agit donc de chansons de crooner, aux textes mièvres. Alain Kan a dix-neuf ans, une coupe de collégien, un beau sourire, et opère dans la variété la plus inoffensive. Mais rapidement, Alain en a assez.



En 1968 s’ouvre dans le quartier latin l’Alcazar, un lieu mythique pour la décennie qui allait suivre. Ce cabaret bouillonne d’innovations, en cette période de révolution des mœurs, et les spectacles de music-hall qu’il propose sont inédits. Parmi les performers recrutés, Alain Kan se fait sa place, sous le nom d’Amédée Jr. C’est ici qu’il côtoiera un moment Gainsbourg, Barbara, Dani, et Régine, avant de prendre une voix bien différente. Sur scène, portant canotier, veston, nœud papillon, collants résille et maquillage outrancier, Amédée interprète ses propres morceaux, dont il écrit désormais les paroles. Tout le gratin parisien assiste à son spectacle déjanté, provocateur. Il sort un nouveau 45T, Mes stars à moi, dans son style nouveau, et écrit également plusieurs titres pour Dani, dont Mon p’tit photographe, le premier morceau à connaître la censure… mais certainement pas le dernier.

Entre temps, sa demi-sœur Véronique vient d’épouser le chanteur Christophe, et Kan peut bénéficier de la maison de disque de son beau-frère pour se produire. Il sort ainsi plusieurs titres, qui marquent une nette évolution vers quelque chose de plus rock, de plus funk parfois. Dans ses chansons, il n’hésite pas à clamer ouvertement son homosexualité, dans une France à l’époque dirigée par Pompidou et son gouvernement conservateur. C’est également dans ces années 71-74, qu’il serait parti avec Bowie sur les routes de France, pour une dizaine de jours. Info ou intox, personne ne le saura, mais Bowie est l’idole de Alain Kan, qui adaptera par la suite plusieurs de ses titres, lui empruntera beaucoup au niveau du visuel… Quant à Bowie, il lui emprunte tout de même son bassiste, Laurent Thibault, pour enregistrer Low… La carrière de Kan prend doucement son envol. Il travaille main dans la main avec Christophe, lui composant certains titres (tandis que Christophe arrange le Pauv’Pomme d’Alain), et en 1973, le jeune chanteur est récompensé par la Rose d’Or d’Antibes pour 55-60 Dès que vient le samedi soir, un titre dans le style rockabilly, dont un enregistrement vidéo circule miraculeusement sur youtube.



Kan s’envole pour Londres, où il découvre le glam-rock : il flashe sur T-Rex, toujours autant sur Bowie, et se prend également de passion pour le Velvet Underground de Lou Reed. A cette époque en France, Bowie n’est encore connu que de quelques initiés. Kan, ainsi que Marie-France, son amie strip-teaseuse de l’Alcazar, en font partie. A son retour en France, il quitte définitivement le cabaret pour produire un premier album chez Motors, le label de Christophe. Il s’agit de Et Gary Cooper s’éloigna dans le désert, sorti en 1975, suivi l’année suivante de Heureusement qu’en France on ne se drogue pas. Ces deux dynamites se présentent comme des chansons pop, avec des paroles bien plus subversives. La sortie des deux disques provoque un scandale, et Alain Kan est interdit d’antenne et même de promotion. Et peu de temps après, le deuxième est carrément retiré de la vente pour incitation à la consommation de drogues, notamment à cause du titre Speed my speed. Dès lors, la carrière d’Alain Kan ne se joue plus que sur le mode confidentiel. En 1976, Alain Kan obtient la première partie du concert du groupe anglais Status Quo sur la tournée française, et ce sont cinq british médusés qui voient le rideau s’ouvrir sur un chanteur travesti qui interprète de manière totalement subversive La Marseillaise.

Période punk et post-punk



On arrive au milieu des années 70. Marie-France obtient un rôle dans le Barocco d’André Téchiné où elle fait un numéro musical dans le genre cabaret. De son côté, Alain Kan n’est pas insensible au bouillonnement qui agite le monde de la musique. En 48 heures, il monte un groupe de punk, Gazoline, dont le nom fait référence aux homosexuels radicaux qui manifestent à l’époque contre les représentations de la Cage aux Folles. Les autres membres de Gazoline, groupe autoproclamé de punk pédé, sont Pierre-Jean Cayatte, fils du réalisateur André Cayatte, Olivier Burger et Didier Laffont. La formation évolue sur les scènes parisiennes, au côté d’Asphalt Jungle, groupe de Patrick Eudeline, qui a depuis écrit plusieurs livres sur l’époque où il mentionne notamment Alain Kan. Un album sera finalement enregistré, auquel participe Fred Chichin, mais il ne sera jamais commercialisé. Deux singles ont été commercialisés, Sally et Radio Flic, où la musique de Kan n’a plus rien de pop et a viré à un punk agressif pur et dur. Mais Gazoline, comme tous les groupes de l’époque, aura un destin court mais intense : Gazoline s’est hissé au sommet du punk français et reste aujourd’hui encore un groupe mythique, mais il se dissout très rapidement pour incompatibilité d’humeurs, le tout sur fond de drogues dures.

Nous sommes donc en 1979. Alain Kan retourne en studio pour composer son troisième album, Whatever Happened To Alain Z. Kan. Il a changé son nom de scène, ajoutant l’initiale du nom de son père biologique, et sa musique prend encore un nouveau tournant : l’album est beaucoup plus dur que les deux premiers, certains titres de Gazoline ont été réadaptés, dont Tonton Adolph, un morceau contenant des samples de discours hitlériens qui vaudra à son auteur d’être encore une fois banni des ondes. Le disque contient également une reprise du Suffragette City de Bowie. Mais désormais, Alain n’a plus l’intention de poursuivre la scène. Il s’attèle à l’écriture d’un roman autobiographique, L’Enfant Veuf, hélas jamais publié, et envisage peut-être, comme Jim Morrison l’avait fait, de se reconvertir dans la poésie. Alain compose encore, il écrit les paroles de l’album Pas vu pas pris de Christophe, ainsi que des B-Sides de l’époque, et Christophe modifie d’ailleurs son chant dans une sorte de mimétisme pour imiter Alain. Il participe en 1981 à la composition d’un 45T pour Jennifer, une chanteuse oubliée, devenue depuis la femme de Gérard Lanvin. Le single Do It For Me auquel il avait participé avait été le tube disco de l’été 1976.



Puis en 1982, il remonte sur scène pour une tournée de spectacles qu’il qualifie de travelo-rock. Il est désormais seul sur scène, porte des uniformes rappelant ceux des SS, avec des accessoires SM, clame ouvertement ses aventures homosexuelles à un public qu’il provoque toujours plus. Il est en train de ruiner définitivement sa carrière commerciale, mais n’en a plus rien à faire. Il collabore avec les musiciens de Taxi Girl, est parfois invité sur scène par Daniel Darc pour interpréter son Charter de la folie… L’album sort en 1986, sous le nom de Parfums de Nuit. Jamais encore Alain Kan n’avait été aussi loin dans le nihilisme. Oubliée la pop des débuts, oubliée la provoc’ gentillette : ce disque ressemble à une musique bruitiste, avant-gardiste, largement précurseur de l’indus. Particulièrement agressif, très difficile d’accès, il est probablement le plus abouti des quatre mais ne connaîtra encore une fois aucun succès. Alain s’en fout.

En 1988, il a retrouvé la trace de son père, et c’est en Suisse qu’il rencontre sa grand-mère paternelle, qui lui apprend qu’il est décédé. Il abandonne totalement l’art, devient représentant en produits informatiques, et un jour de printemps 1990, alors que tout le monde ou presque l’a oublié, Alain Kan monte dans un métro à Paris, et disparaît.



Ça aurait pu être une belle image, pour finir sa biographie. Ça n’en est pas une : Alain Kan a bel et bien disparu, personne ne l’a jamais revu depuis ce fameux jour. Ironie du sort, le père qu’il croyait avoir trouvé n’était pas véritablement son père. Alain sera parti sans obtenir la réponse qu’il cherchait. Véronique, Christophe et les proches du chanteur ont lancé un appel à une émission type Perdu de vue, sans obtenir le moindre résultat. Daniel Darc continue à lui rendre régulièrement hommage sur scène. En 2007, sa sœur Véronique est parvenue à faire rééditer ses trois premiers albums dans un coffret limité. Parfums de nuit, ainsi que tous les autres titres isolés, et le roman d’Alain Kan, sont encore introuvables. Alain Kan a voulu disparaître sans laisser de trace. Toute son œuvre, toute sa vie, n’a été qu’un reniement progressif. Comme Morrison, comme Rimbaud, comme Lautréamont, autant de révoltés auxquels il vouait une admiration non-cachée, Alain Kan a fini par quitter ce monde qui ne l’acceptait pas, et qu’il n’acceptait pas. L’a-t-il quitté à tout jamais ? Ceci est une autre histoire, nous nous garderons bien de répondre.

Remerciements particuliers à Lucie Bevilacqua.



Par KaeS



Ma chronique s'arrête ici. J'en ai fait trois autres sur les trois premiers albums donc. Je pourrais éventuellement les poster si ça vous intéresse. Pour les morceaux, il y a pas grand chose sur le net, voici ce que j'ai réuni -- euh en fait si, depuis ma dernière recherche, c'est colossal tout ce qu'il y a. Je vous mets donc en vrac du live et du studio, toutes périodes confondues donc surtout n'allez pas juger sur un ou deux morceaux car vous l'aurez compris, c'est son évolution qui le rend fascinant.

55-60 Dès que vient le samedi soir (premier passage télé):